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28 juin 2010

Interview: "Comme Une Odeur d'Ammoniac"

Un petit retour en arrière, pour ceux qui n'auraient pas lu l'interview que j'ai accordé à Aurélie MARTIN (septembre 2009), journaliste toulousaine qui avait été positivement impressionnée par mon recueil de nouvelles, Comme Une Odeur d'Ammoniac, paru en août 2009.


"
Laura Kita Kejuo, comme un air de fièvre toulousaine"

Par Aurélie Martin



J’ai eu le plaisir de pouvoir interviewer l’écrivain Laura Kita Kejuo par vidéoconférence fin septembre 2009, à propos de son dernier recueil de nouvelles publié, "Comme Une Odeur d’Ammoniac", narrant la situation de divers personnages dans la ville de Toulouse, le jour de l’explosion de l’usine AZF, le 21 septembre 2001. Laura Kita Kejuo est d’origine brésilo-camerounaise, écrit, traduit et forme des adultes en langues étrangères à Rio de Janeiro. Elle a fait ses études à Toulouse, ville qu’elle connaît bien et à laquelle elle voue une profonde admiration.

Aurélie: Laura, ton recueil de nouvelles comporte quatre nouvelles (Comme une odeur d’ammoniac, Le temps est maître, Lorsque s’écroule mon monde, Dommages et débris). Il est utile de préciser que ton livre n’est ni un documentaire, ni un essai, encore moins une prise de position globale, mais
une fiction, dans son ensemble. Des histoires avec des personnages fictifs. Seule la catastrophe mentionnée est bien réelle... Ainsi que la ville de Toulouse, représentée par les lieux que tu mentionnes, la Place du Capitole, le quartier des Arènes, celui du Mirail, entre autres...

Laura: Oui, le décor et l’évènement principal du 21 septembre sont bien réels.

Aurélie: Je précise également que l’explosion de l’usine AZF est considérée comme la plus importante catastrophe industrielle sur le territoire français depuis janvier 1966. Au début de ton livre, tu cites un extrait du roman policier de l’écrivain toulousain Francis Pornon, Explosifs et Vieilles Ficelles, paru en 2007, et qui traite d’une enquête autour de l’explosion de l’usine AZF. Je cite: « Chacun voulut prendre à son tour la parole ou la plume pour écrire à sa façon cette histoire ambigüe et contestée, sinon oubliée. A chaque héros son discours parce qu’à chacun son trajet. On n’a jamais été aussi loin d’une vérité commune et partagée. » Cela se rapprochait-il de tes intentions ?

Laura : Oui, tout à fait. J’ai voulu raconter cette journée à ma façon. Et même si l’on retrouve quelques émotions communes dues à un désastre commun, chaque personnage du livre a vécu cette journée sous un angle différent. Je pense que chacun a donc le droit de retranscrire le 21 septembre 2001 à sa manière.

Aurélie : Est-ce que Comme Une Odeur d’Ammoniac était à la base destiné aux Toulousains et aux victimes de cette catastrophe ?

Laura : J’ai tout d’abord écrit, afin de laisser une trace de ce souvenir bien trop présent. Puis, dans un deuxième temps, pour partager avec les personnes ayant été présentes à Toulouse ce jour-là. Puis, finalement, pourquoi pas également afin aborder un évènement à travers des nouvelles...

Aurélie : Quel effet pensais-tu que ton recueil de nouvelles aurait sur les habitants de Toulouse ?

Laura : À vrai dire, je n’en avais pas la moindre idée. Le défi pour moi était justement de guetter leur réaction et d’y faire face. Les habitants de Toulouse qui ont vécu cette journée et qui ont lu mon livre se sont sentis honorés. Mais j’ai été davantage ébahie par les retours de ceux qui n’habitaient pas la région et qui avaient tout juste entendu parler de cette catastrophe. Ils ont trouvé très courageux le fait que j’aie choisi d’écrire autour de ce thème.

Aurélie : Je me souviens de ce 21 septembre comme d’hier. J’avais dix-sept ans à l’époque et je vivais avec mes parents à Portet-sur-Garonne. La maison dans laquelle nous habitions a été partiellement détruite, une partie du plafond de ma chambre s’est écroulé. Je fais donc partie de ceux qui se sont sentis directement concernés par ton livre!

Laura : Le bilan matériel a été très lourd. J’étais logée chez une amie dans le quartier Saint-Michel, nous avons eu des vitres implosées. Mais d’autres quartiers ont été plus sévèrement touchés : ainsi, il n’existait pratiquement plus de vitres intactes dans le quartier du Mirail... Le lycée Galliéni, situé sur la Route d’Espagne, a dû être complètement reconstruit après l’explosion et n’a rouvert ses portes que l’année dernière... l’Hôpital Psychiatrique Marchant, situé en face de l’usine, a été dévasté, les patients ont dû être évacués et replacés dans d’autres centres hospitaliers... Ainsi qu’un nombre impressionnant de logements décrétés inhabitables... Pour citer les faits marquants me venant à l’esprit.

Aurélie : L’heure, sous toutes ses formes, est omniprésente dans ton livre, que cela soit dans le titre des nouvelles, (Le Temps est Maître), comme dans le contenu même, lorsque les personnages vivent cette journée du 21 septembre.

Laura : Oui, effectivement, je fragmente cette journée en heures et en minutes, car chaque minute a compté le long de cette journée. C’était une journée que tous les habitants de Toulouse ont vécu différemment, regarder sa montre ne suffisait pas. Nous avons compris ce jour-là que le temps pouvait être une notion extrêmement relative, selon les situations dans lesquelles on se trouvait.

Aurélie : Je pense tout particulièrement à l’heure de 10h17 que tu mentionnes dans les quatre nouvelles.

Laura : Oui, 10h17 est précisément le moment où tout bascule. Le moment où l’on ne contrôle plus rien, où l’on ne sait ce qui se passe, ni ce qui se passera dans les instants à venir. Et, bizarrement, tout semblait tourner au ralenti ou à l’arrêt sur images.

Aurélie : Ainsi qu’au temps qui semble se figer à la fin de chaque nouvelle. Par exemple, dans Le Temps est Maître, tu écris : « L’horloge affichait dix-heures dix-sept ; le temps semblait s’être arrêté depuis lors. » Dans Lorsque s’écroule mon monde, vers la fin de la nouvelle, on retrouve : « Mourad n’arrivait plus à se souvenir de l’usine d’hier. Il ne voyait que le néant d’aujourd’hui. » Ou encore, dans Dommages et débris : « Mais le temps sembla s’écouler. Ou peut-être ne s’écoulait-il pas assez vite. »

Laura : Un clin d’oeil, une fois de plus, à la relativité du temps. Lorsqu’on est confus et qu’on a peur, le temps peut nous paraître court ou alors horriblement long. On peut le constater en toutes circonstances.

Aurélie : L’odeur d’ammoniac est présente dans chaque nouvelle, de façon insistante. Elle ne semble pas seulement exister physiquement, elle paraît également avoir une emprise sur les personnages, n’est-ce pas ?

Laura : Tout à fait. L’odeur d’ammoniac représente l’inconnu, l’intrus, le danger imminent, la peur palpable.

Aurélie : Ton recueil de nouvelles m’a impressionnée, non pas seulement par rapport au fait que j’aie vécu en direct cette catastrophe et ses conséquences, mais par rapport à certaines scènes, certaines phrases à travers lesquelles tu parviens à transmettre, à définir une ambiance. Dans Comme une odeur d’ammoniac, la nouvelle éponyme, par exemple : « Ils ralentirent un instant le pas, afin d’observer le phénomène. L’un d’eux prononça d’une voix fataliste : Le nuage se dirige vers le Mirail. C’est ce que l’on redoutait tant. L’ammoniac se propage déjà. Tout Toulouse va y avoir droit. [...] »

Laura : Je vais sans doute passer pour une folle, mais j’ai écrit cette scène dans la salle d’attente du cabinet de mon médecin, il y a exactement deux ans, en attendant d’être reçue. J’étais comme possédée, j’avais toutes ces images en tête, et j’avais une peur bleue de ne pouvoir reconstituer tout cela, une fois chez moi. Alors, j’ai déplié le plan de la ville de Toulouse, devant les yeux curieux et l’air ébahi des autres patients, j’ai sorti mon carnet et j’ai griffonné tout mon saoûl. Je pouvais distinguer avec précision ces employés longeant la Garonne et apercevant ce gros nuage noir.

Aurélie : Dans Le temps est maître, il y a cette partie aussi, celle où Annie et Diénéba quittent la fac pour tenter de fuir la zone sinistrée. J’ai ressenti un véritable malaise en lisant ce passage, où elles sont perdues, ne sachant trop quelle direction prendre, craignant de s’engouffrer davantage dans le Mirail, plutôt que d’en sortir.

Laura : Oui, il y a de quoi ressentir un malaise. Imaginons-nous dans cette situation. Nous sommes tranquillement dans notre université, soudain l’explosion, les bâtiments qui bougent, des camarades blessés, la confusion. On tente de fuir, et on ne retrouve pas tout son sens d’orientation... De quoi paniquer!

Aurélie : Je continue avec la suivante, Lorsque s’écroule mon monde, le passage où Mourad, après l’explosion, se rend compte, entouré de quelques collègues, sur la Route d’Espagne, que c’est l’usine, dans laquelle il travaille, qui a explosé.

Laura : Oui, j’avoue que j’ai souffert avec le personnage. J’aurais presque voulu réécrire l’histoire, qu’ils découvrent qu’ils s’étaient tous trompés et qu’il n’était rien arrivé à leur usine, qu’ils chérissaient tant.

Aurélie : En ce qui concerne Dommages et débris, je ne sais pas, j’avoue que je suis restée sur ma faim, peut-être parce que le texte est plus court que les autres... Mais j’ai beaucoup aimé cette phrase, vers la fin : « Dans un monde à l’abri de toutes vapeurs toxiques et autres odeurs d’ammoniac. »

Laura : Oui. Un clin d’oeil à l’album d’un artiste, que j’ai beaucoup aimé et écouté pendant l’écriture du recueil, ainsi qu’au titre du livre!

Aurélie : Laura, quelle est ton impression ou ton point de vue général sur ce jour tragique de l’explosion de l’usine AZF ?

Laura : Heu... Je ne citerai qu’un extrait du morceau Apocalypse du rappeur toulousain Don Choa (dont l’album, Vapeurs Toxiques, est paru en 2002) : « L’erreur est humaine, c’est pour ça que la nature se venge » ...

Aurélie : On touche à la fin, une dernière question : la ville de Toulouse semble toujours se trouver en arrière-plan de tes œuvres... Dans tes deux autres romans, Choc Temporel et Délit Amical, tu décris Toulouse, la Ville Rose, avec son côté plaisant et agréable à vivre. Dans Comme Une Odeur d’Ammoniac, on découvre Toulouse au côté sombre, effrayant, méconnaissable aux personnages. Comment as-tu vécu cette inversion, le fait de décrire une ville qui t’es aussi chère sous un angle si obscur ?

Laura : Je l’ai vécu douloureusement. Comme Une Odeur d’Ammoniac, c’est un cadre fictif, mais avec le malheur d’AZF en toile de fond. Je ne pouvais pas embellir ou masquer les choses, et cela m’a énormément coûté. Revoir Toulouse défigurée, revivre les faits, à travers l’histoire des personnages, a été enrichissant et pénible à la fois. J’aime Toulouse et je la prends comme elle est, avec son histoire. Et c’est bien parce que je l’aime et que je la respecte, qu’elle est toujours présente dans mes écrits.

Aurélie : Merci infiniment, Laura. Cela a été un plaisir de découvrir Comme Une odeur d’Ammoniac, ainsi que tes autres œuvres, et je suis pour le moins ravie que tu m’aies concédé cette interview. A très bientôt, j’espère, autour d’un café Place du Capitole, dans notre Ville Rose que tu aimes tant.

Laura : Cela a été un honneur pour moi de répondre à tes questions, Aurélie! Et merci encore, pour tout. C’est sûr, à très bientôt autour d’un café!


Aurélie Martin est née en 1984 à Toulouse, où elle vit et travaille. Elle est journaliste, spécialisée dans la presse d’actualité et d’information locale.


©Interview réalisée par Aurélie Martin, septembre 2009, Touches Toulousaines
©L’Auteur Dans Tous Ses Etats: le Blog, octobre 2009

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