Hauteur
Au-delà de la peur de la rencontre avec les mots, eh bien, nous avons aussi... peur de ne pas être à la hauteur. Bon, allez, on se comprend. Tout être humain passe par là et dans tous domaines: il a peur de devoir se mesurer aux autres et à lui-même (encore pire!) et de découvrir qu'il n'est pas si exceptionnel. Bon, d'accord, de se découvrir nul. Autant utiliser de suite les grands mots.
Un exemple: on s'assoit pour écrire quelques lignes ou ce texte formidable avec plein d'idées baladeuses. On est plus qu'enthousiastes par rapport au thème, au texte en lui-même, que de la joie. Et puis, subitement, on se détache trop du texte (erreur!) pendant l'écriture: est-ce qu'il me faut vraiment utiliser ce vocabulaire? Et ce verbe-là est bizarre... et puis, en y pensant bien, ce paragraphe-là, il est quand même un peu... euh... pas trop à sa place, ici, on pourrait penser que, croire que... et puis, finalement, je ne suis pas sûre de... oh, et puis, zut. Il est nul, ce texte. Je n'y arrive pas. Pourtant, avec les autres, du mois dernier, cela coulait de source... pourquoi je n'y arrive plus? Que m'arrive-t-il? Je ne sais plus écrire. Je ne suis plus à la hauteur. L'ai-je été un jour?
Riez, plaignez-moi tant que vous voulez, je me sens souvent comme ça, par intermittence, pendant l'écriture du texte, c'est la période pendant laquelle je suis le plus vulnérable aux pensées sombres. De celles qui vous tirent vers le bas. Et sans une bonne tasse de thé, d'adrénaline et de passion pour la journée et d'attention pour les énergies positives aux alentours, ce texte finit à la poubelle en plus de temps qu'il n'en faudra pour le dire. Et pourtant, tout texte est bon à travailler, si on l'a produit, ce n'est pas pour rien. Mais je décrète ça maintenant, à l'heure qu'il est, à laquelle je ne suis pas en train de mâchouiller mon stylo, ronger tous mes ongles de désespoir.
Bon, c'est la phase sombre que je vous décris là. Heureusement, pas la plus importante dans le processus du Gribouillage. Mais nécessaire, tout de même, pour affronter les défis. Pour les affronter, il faut admettre sa peur, pour mieux savoir choisir ses armes.
Bien sûr, je pourrais me contenter de dire que le Gribouillage est merveilleux, sans ombre au tableau. En ce qui me concerne, je serais en train de mentir par omission. Oui, il y a un côté indescriptible au Gribouillage, une sensation unique, vraiment, le bonheur, je dirais, quand on vit en harmonie, quand on fusionne avec ses écrits. Inégalable à tout autre sentiment. Unique en son genre. Quand on sent qu'on est parvenu à quelque chose. Pas parce que c'était facile ou court ou évident, mais parce qu'on y a joint aptitude et travail.
Après la peur d'affronter ses démons, la peur de ne pas être à la hauteur. À outrance, l'un est aussi nocif que l'autre. Sans maîtrise, ils nous détruisent en un quart de tour. Le manque de confiance en soi, la peur, le doute tuent la créativité, ainsi que cette candeur dont nous avons besoin pour pouvoir nous émerveiller à chaque fois que nous reprenons la plume.
Je ne suis pas parfaite, et mieux vaut sans doute pour moi que je ne le devienne pas, j'y perdrais toute mon âme. Il n'y aurait plus de moi dans mes écrits, et s'il devait n'y avoir plus de moi dans mes écrits, c'est ce moment-là que je ne serais réellement plus à la hauteur. Non?
Je tâcherai de me souvenir de ces lignes chaque fois que des pensées diaboliques viendront polluer ma conscience. Pendant le Gribouillage.